1952 – 1959
La Typographie comme centre du monde
« Il est temps de ne plus considérer la Typographie pour son utilité, ni pour ses beautés ; mais en tant que discipline de l’esprit, c’est-à-dire pour son universalité ». Il est temps aussi de faire le point sur cet imprimé qui se transforme, sur le passage du livre aux médias, sur les techniques en pleine évolution, même si le plomb mécanisé (Linotype, Monotype) domine encore l’industrie. Enfin et surtout, sur les signes qui forgent tout cela, leur histoire, leur pouvoir. Quelques amis se retrouvent pour « parler métier » à Lurs, loin de tout. Facétieux, touche-à-tout, ils impriment leurs rendez-vous de rituels, de jeux de mots et d’un serment. Tous s’accordent sur l’importance de ce rendez-vous qui prend de l’ampleur et fait école. L’exploration de la graphie latine aboutit à la naissance d’une classification typographique rapidement adoptée par l’ATypI naissante.
1960 – 1967
Lumière dans la chaîne graphique
Avec la photocomposition commercialisée depuis peu, la lumière entre tout doucement dans l’atelier de plomb et d’encre. La photographie et la « photocompo » hybrident le texte et l’image et attisent le désir des graphistes, comme leur crainte. Les fonderies typographiques s’y mettent. La promesse est de sortir de l’univers orthogonal des lignes de texte et de révolutionner l’esthétique par la souplesse. Aux éditeurs on parle vitesse et rentabilité. On s’enthousiame pour La Cantatrice chauve de Ionesco par Massin et Cohen, en 1964. Mais on discute aussi de la « Mort de Gutenberg ». L’image va-t-elle tuer le texte ? Et avec l’impression offset, ne perd-on pas ce foulage du papier par les caractères qui faisait tant aimer les livres anciens ? Retour de nostalgie.
1968 – 1974
Aspirations et contestations
L’image est partout, la publicité envahit l’espace. C’est aussi le temps de la contestation de cette société de consommation par une jeunesse qui aspire à la liberté. Avec la popularisation de la lettre transfert (Letraset), la propagation de la copie électrostatique (xérographie), les fanzines arrivent. De la Californie au boulevard Saint-Michel, des médias alternatifs libres et contestataires fleurissent partout dans les marges des médias traditionnels et officiels contrôlés par le pouvoir et l’économie. Ce ne sont pas seulement les images qui prolifèrent, mais le texte, échappant aux processus traditionnels d’édition. Les esprits s’ouvrent aux idées (et aux substances) nouvelles. À Lure les jeunes font le siège de la Chancellerie, on parle audio-visuel, bande dessinée, ce neuvième art jusque-là négligé.
1975 – 1985
L’âge d’or de la communication
L’héritage contestataire se sédimente progressivement dans l’industrie de la communication : nouvelles maisons d’édition, explosion des magazines. La publicité et la communication vont néanmoins normaliser en une décennie toutes les aspirations d’une génération. Les écrans vont prendre le pouvoir, mais ce ne sont pas ceux que l’on connaissait. La télévision étant encore aux mains du gouvernement, c’est au cinéma et avec la télématique (le célèbre Minitel que le monde nous envie) que vont se jouer les expérimentations typographiques, parfois scabreuses. En arrière-plan se trame une révolution qui va totalement bouleverser les industries graphiques : l’émergence de la micro-informatique qui termine la période avec la naissance du Macintosh d’Apple en 1984.
1986 – 1995
L’ordinateur personnel et multimédia
La communication s’individualise, comme le reste. De même que la VHS et les vidéo clubs proposent aux consommateurs de quitter les salles obscures et de prendre (enfin) le pouvoir sur leur téléviseur, les micro-ordinateurs permettent à chacun·e de choisir dans le menu police, de se mettre à écrire, de composer un document, puis de l’imprimer. Les industriels de l’imprimerie, réticents devant ce matériel un peu léger, ne voient pas à quel point la PAO va bouleverser la chaîne graphique en supprimant de nombreux métiers. La vidéo et l’informatique se rejoignent déjà dans ce nouveau support : le CD Rom multimédia interactif qui combine le texte, les bases de données, les images et la vidéo dans un support éditorialisé et coûteux à produire, qui va rapidement échouer.
1996 – 2009
Floraison typographique
La typographie connaît une explosion sans précédent : revivals dans les grandes fonderies, émergences de micro fonderies, partout on aime et on crée de la typographie. Les métiers graphiques se sont féminisés et l’intérêt pour le design est revenu (recherche, articles, conférences, livres). Sur une décennie, à peine la PAO généralisée, c’est Internet qui est arrivé, apportant les joies de la basse résolution, et surtout la variabilité du support de lecture. Un vrai changement de paradigme : alors que pendant des siècles des documents étaient composés puis diffusés, c’est désormais l’inverse : on transmet des documents sans trop savoir comment ils seront lus. C’est le règle de l’astuce pour obtenir un résultat contrôlé, mais les possibilités progressent rapidement… Et la communauté professionnelle s’acculture au webdesign, poussée par une demande croissante des commanditaires.
2010 – …
Mutations réticulaires
Les marchés mondialisés organisés en plateformes cherchent à établir des rentes (abonnements, ubérisation). L’édition accélère sa concentration, la publicité a changé de supports, délaissant la presse et la TV pour les écrans personnels. Tandis que les professions de l’édition et du graphisme ont muté vers un marché éclaté d’indépendants souvent précaires, les outils de PAO se sont concentrés dans les mains d’un seul acteur, la firme Adobe. Mais la deuxième génération numérique est arrivée. Une partie de cette jeunesse remet en question les modèles économiques et professionnels de ses prédécesseurs et cherche des modes durables, pérennes, prenant en compte l’équilibre individuel et planétaire. C’est le temps de l’émergence d’alternatives graphiques autour du libre : fontes et logiciels libres, volonté de coopérer et de s’unir dans des «hubs» face à… l’émergence des intelligences artificielles dans le domaine graphique. (à suivre…)
Depuis 1952, dans le village de Lurs, se réunissent des typographes, des éditeurs, des graphistes et d’autres passionnés des lettres, des signes et des échanges.
Ce site réunit les archives de 70 ans de programmation des Rencontres internationales de Lure regroupées en périodes significatives au regard de l’évolution des métiers et des techniques graphiques.