2021 — Contexte (typo)graphique

L'ATypI abandonne la classification Vox

L'histoire du comment et du pourquoi…

Cinq ans après les Rencontres de Lure, l’ATypI est fondée à Lausanne par Charles Peignot1 , par ailleurs à la tête de la fonderie Deberny & Peignot. Au parler métier de Lure répond le parler business de l’ATypI. Toutefois tant qu’il s’agit de parler, il s’agit de dire et singulièrement de dire la typographie. Vox est un typographe, un dessinateur de caractères mais aussi et surtout un passeur, un publiciste, un agiteur d’idées. La classification Vox naît de l’envie de l’auteur de dire la typographie et surtout de dire la représentation qu’il s’en fait. En matière de création typographique, il aura surtout procédé par addition, en supplémentant une création typographique majeure. Ainsi du Banjo satellite du Futura qu’il contribuera à diffuser sous le nom d’Europe. Sentir, imprimer l’air du temps dans une aire géographique donnée, voila un des grands talents de Vox. La classification qui porte son nom ne fait pas exception. Schématiquement reprend la classification Thibaudeau notamment, en développe certains axes et se livre à un exercice de catégorisation historico-culturelle. Ce faisant, il a emprunté lourdement au contexte de l’époque. Et encore les travaux lursiens ont écarté certains des aspects les plus saugrenus de sa classification – annoncée dès 1952 –, à commencer par certains noms de classes comme les médièves par exemple2 . Les simplices deviennent les linéales. Ironie de l’histoire : les simplices reviendront dans la classification de Jean Alessandrini, le Codex 1980, laquelle sera très fraîchement accueillie par le public lursien.. En 1952 le premier thème des Rencontre de Lure était « l’alphabet est-il complet ? ». Dix ans plus tard à Vérone, quand il s’est agi pour l’ATypI d’adopter la classification Vox, une question a dû se poser « la classification est-elle complète » ? Tant et si bien que la catégorie fractures a été ajoutée ainsi que celle si problématique par la suite des caractères « non-latins ». Au passage, la classification est également traduire en anglais et en allemand.
La classification Vox-AtypI est devenue un classique, mais un classique de plus en plus dérangeant, l’ATypI de congrès d’industriels de la typographie est devenu un creuset de praticiens, eux-mêmes de plus en plus interpellés par des problématiques de pédagogie et de transmission. Et le monde a considérablement changé ; née dans les certitudes de l’Europe de l’Ouest d’après-guerre, la Vox-AtypI devait évoluer dans les incertitudes d’un monde multilateralisé. Il n’était plus question de laisser le reste du monde en périphérie de la classification sous la catégorie fourre-tout de « non-latin »3 . Ainsi la classification Vox-ATypI est débaptisée le 27 avril 20214 .
Le souci initial de Vox de faire le point5 peut-il encore être satisfait de nos jours ? Risquons nous à identifier deux points au moins : la culture typographique des êtres humains, sans système trop figé, a minima sans « ordonner le monde avant de l’avoir compris »6 , tout en nuances, paradoxes et exceptions ; de l’autre, l’apprentissage des machines, celles au moins des industriels du secteur y compris à des fins d’intelligence artificielle7 (Monotype Font Pairing, Adobe Firefly). Entre ces points, une ligne de conceptions, d’élans, d’usages insouciants, sincères, opportuns. Non plus la vox d’un seul mais un concert de cultures, de communautés, de nations.

Frank Adebiaye


  1. ( Que Vox connaît très bien pour avoir collaboré avec lui dès les années 1920 notamment pour Arts et métiers graphiques.)
  2. Après les discussions survenues pendant les Rencontres de Lure de 1954 comme le relève Manuel Sesma dans Histoire de l’écriture typographique - Le XXe siècle I/II (Perrousseaux, 2016)
  3. En devenant Vox-ATypI, la classification Vox passe ainsi de neuf à onze classes. Les neuf classes initiales sont pour mémoire les humanes, les garaldes, les réales, les didones, les mécanes, les linéales, les incises, les scriptes et les manuaires.
  4. https://atypi.org/2021/04/27/atypi-de-adopted-the-vox-atypi-typeface-classification-system/
  5. Allusion à l’ouvrage éponyme de Vox paru en 1963 où sa classification est amplement déployée et appliquée au corpus typographique de Monotype. Juste retour d’ascenseur car dans le Caractère Noël 1955, le bureau français de Monotype avait fait paraître un encart de 24 pages expliquant le système de Vox, juste après un essai de ce dernier associant sa classification à la biologie.
  6. Albert Camus, L’Exil d’Hèlene, 1948
  7. À cet égard, sans que ce soit forcément le souhait ultime de son autrice, la classification CEDARS+ de Nadine Chahine, introduite le 29 juin 2021 (https://twitter.com/arabictype/status/1409961092571353097), soit quelques mois après l’abandon de la classification Vox-ATypI, en se focalisant sur les caractéristiques typographiques formelles subsumant ainsi les différents systèmes d’écriture pourrait bien être fort utiles à ces systèmes d’apprentissage voire à des systèmes de génération typographique à l’aide notamment de la technologie des fontes variables.

→ atypi.org