1986 — Contexte (typo)graphique

Emperor, Oakland…

Publication des premières fontes bitmap que Zuzana Licko a dessinées pour le numéro 3 de la revue Emigre, ce sera le début de la fonderie éponyme :

Ces premières fontes bitmap (faites de pixels) procèdent, d’un regard croisé entre technique (évolution) et notion (lisibilité). Zuzana Licko fait le constat que la faible résolution des imprimantes (72 dpi) rendra indiscernable à la sortie imprimée toute police utilisée, que ce soit un Goudy ou un Garamond (idem pour les sans). Elle se lance alors dans la création directe sur Apple Macintosh de caractères bitmap où ce qui est dessiné est ce qui sera imprimé. En résultera, pour couvrir l’essentiel des possibilités, quatre polices : une à empattements (baptisée Emigre, de son origine), une sans (baptisée Universal, un clin d’œil à Herbert Bayer et à Adrian Frutiger), une sans condensée (Emperor, un clin d’œil à Morris Fuller Benton) et une bold (Oakland, la grande ville voisine de Berkeley ou Emigre s’est installé). Chaque caractère est défini par le nombre de pixels en jeu pour la hauteur du caractère. Zuzana Licko, qui a un intérêt certain pour les problèmes techniques mais sans fascination particulière, s’engage dans une création où les enjeux, les potentiels, les limites et les obsolescences de la technique seront confrontés à la lisibilité, à la réception des lecteurs et lectrices et à la déconstruction des codes, comme l’expérimente et le travaille parallèlement le magazine éponyme.

Ces caractères apparaissent pour la première fois en 1985 dans le numéro 3 du magazine, Zuzana Licko y est créditée sous l’intitulé “digital typedesign and type setting”. Les lecteurs intéressés par ces nouveaux caractères souhaitent pouvoir les utiliser. Ce qui motivera la décision de commercialisation qui se fera avec le numéro 6 où ils sont proposés à la vente.

  • Emigre#3, 1985, sommaire
  • Emigre#6, 1986, page de promotion
On peut consulter avec intérêt les archives des numéros ici Emigre collection

Intermède 1 : du hasard et de la nécessité.
Si l’on y réfléchit bien, ce qui deviendra une des fonderies les plus inventives et plus marquantes de la fin du XXe siècle naît presque par hasard, d’un constat fait de nécessité et curiosité critique, pour un magazine qui s’élabore avec enthousiasme et dans une économie fragile. Elle naît alors que Zuzana Licko n’a pas d’expérience dans le dessin typographique, qu’elle dessine directement sur ordinateur et qu’elle est une femme, dans un environnement très masculin. Ce qui vaudra, tout comme pour le magazine, une réception très polarisée entre adhésion chez les plus jeunes générations et critiques acerbes chez les plus anciens. On lira par exemple avec intérêt et consternation l’article de Fernand Baudin publié en 1991 dans le revue Communication & langages (cf. 1962).

On se rappellera aussi sa place parmi les premières fonderies numériques après Bitstream, fondée en 1981 par Matthew Carter et Mike Parker (tous deux ayant travaillé chez Linotype) et Adobe et son département de création typographique en 1984 sous la direction du Sumner Stone, et avant, par exemple LettError (cf. 1990).

À partir de ce moment s’en suit une répartition des tâches : Zuzana Licko s’occupera essentiellement de la fonderie et Rudy VanderLans du magazine.

Dérivations
Après Emigre, Universal, Empereur et Oakland, Zuzana Licko entreprend ce que nous aurions envie d’appeler une création faite de dérivations informées autour de la question : comment accompagner la technique, presque la mettre en scène, en lumière en faisant advenir des formes typographiques qui en soient à la fois les énoncés et les traces.
Partant de chacun des caractères, elle en dérive un ou plusieurs nouveaux caractères avec à l’esprit le constat de l’avancée technique très rapide (voir à ce sujet la réflexion de Carter quant au Charter) qui, par exemple, fait passer les imprimantes de 72 à 300 dpi. En voici quelques exemples.

Intermède 2 : gardener versus architect.

… article en cours, RVA

→ www.emigre.com