Antique Olive
Antique Olive, dessiné par Roger Excoffon pour la fonderie Olive, est le résultat d’une recherche originale sur la lisibilité.
Préambule
Autorisons-nous à débuter cette première décennie par un article consacré à l’Antique Olive, bien que ce caractère (le romain série «normale») ait été publié en 1962. Mais son italique paraîtra en 1966, les étroit, gras, maigre suivront jusqu’en 1971. La décennie n’est alors pas de trop.
Et ce qui vaut pour l’Antique vaudra pour d’autres caractères. Et c’est ainsi que nous nous disculpons facilement de toute erreur de datation que l’on viendrait à nous reprocher…
Lisibilité
Pour l’Antique Olive, Roger Excoffon (1910–1983) cherche à déterminer ce qui caractérise l’essentiel d’une lettre, ce qui en fait sa spécificité, ce qui va renforcer la discrimination entre chaque lettre et en augmenter ainsi la reconnaissance et lisibilité. On remarquera, par exemple, la particularité de la relation du point à la barre du i (cas que l’on ne retrouve qu’en caractères de titrage comme le Gill Kayo de 1936).
L’Antique Olive fait suite à des recherches préalables menées dès 1955 avec Gérard Blanchard pour un caractère (jamais réalisé) appelé Catsilou où la répartition des graisses en imitation des écritures manuscrites est contestée au profit d’une répartition des poids favorisant la conduite de l’œil. On en voit les traces dans l’Antique Olive avec les graisses déplacées sur l’axe horizontal (et non plus vertical) par exemple sur le a, e, c ou sur le o (avec sa forme légèrement trapézoïdale). Ce qui marque une ligne de force complémentaire à la ligne de base, celle de la partie supérieure des lettres, là où se concentrent les indices de reconnaissance. L’axe horizontal est renforcé par des montantes et descendantes très courtes.
Avec la coupe verticale des tracés (proche en cela du Gill Sans de 1928) l’Antique Olive se veut une option alternative à l’uniformité et l’épure des Univers ou Helvetica de la même période. Par contre, contrairement au Gill, et en cela plus proche de ses concurrentes, le romain est accompagné d’un italique qui s’apparente davantage à un oblique.
L’Antique Olive a été dessiné pour le plomb après le caractère de titrage Nord (1958), qui sera intégré dans une famille formée de onze séries, la dernière (un maigre) publiée en 1971.
:complément:
On peut lire le chapitre sur l’Antique Olive écrit par Sébastien Morlighem dans la monographie consacrée à Excoffon (coécrite avec Sandra Chamaret et Julien Gineste), publiée aux éditions Ypsilon en 2010 (cf. 2007) et maintenant épuisée.
Pour qui n’aurait pas accès au livre, on peut lire son article de 2011 dans la revue eye 79 (dont la couverture arbore un magnifique R en Calipso). On peut en lire une revue critique exhaustive ici strabic.fr et aussi feuilleter quelques pages du livre là grandensemble.eu.
On peut aussi consulter avec intérêt le site consacré à Excoffon. ainsi que le communiqué de presse de l’exposition «Tout le monde connaît Roger Excoffon» réalisée par le Musée de l’imprimerie de Lyon en 2011.
>extension<
Mentionnons quelques caractères qui font référence ou rendent hommage à l’Antique Olive.
Tout d’abord le caractère Balance dessiné par le néerlandais Evert Bloemsma (1958–2005) et publié en 1992 par FontFont (le département de création chez FontShop International, cf.1989). Evert Bloemsma, par ailleurs admirateur de l’Univers, a voulu dans ce caractère prolonger les recherches d’Excoffon tout en restreignant l’idiosyncrasie. On en relèvera une caractéristique remarquable : l’encombrement identique quelle que soit la graisse.
Mais encore le Quimera d’Alejandro Lo Celso publié en 2002 chez Pampatype (cf.2001) dont on peut voir une utilisation conjointe avec le caractère d’Excoffon sur cette page de fontsinuse. Ainsi que le Chercan de Francisco Gàlvez en 2016, ce dernier caractère s’annonçant d’une double filiation, Excoffon et Goudy, tout comme l’Antique Olive se réfère possiblement au Gill Sans (le poids de la boucle haute du a, les coupes verticales) et… de quoi lancer quelques hypothèses.
Et enfin le Duplicate de Christian Schwartz, paru en 2013 chez Commercial type, fonderie créée par ce dernier et Paul Barnes en 2007 après leur collaboration pour la famille typographique du journal anglais The Guardian. Le propos était de dessiner de mémoire un caractère s’apparentant à l’Antique Olive. Ce caractère, Duplicate Sans, initie une série de cinq, à voir ici.
((digression N))
On se rappellera que la création de l’Antique Olive se fait dans un état concurrentiel entre les fonderies européennes : la fonderie parisienne Deberny & Peignot lançait l’Univers, la fonderie bâloise Haas l’Helvetica, la fonderie francfortoise Bauer le Folio, la fonderie turinoise Nebiolo le Recta, la fonderie Lettergieterij Amsterdam le Mercator.
En dehors des politiques commerciales en jeu, c’est Helvetica qui remportera la mise. Mais le nom compte aussi : ce caractère aurait-il connu la même réussite s’il avait gardé son nom d’origine, Neue Haas Grotesk?
D’où cette digression N, sur le nom.
Et si au lieu de s’appeler Antique Olive, c’est-à-dire Antique de la fonderie Olive (fonderie familiale marseillaise dirigée depuis 1938 par Marcel Olive, dont Roger Excoffon était le beau-frère), ce caractère avait été baptisé Massalia 1
ou Mare Nostrum ou… On se rappelle cependant le sens de la formule chez Olive : Mistral, Choc, Banco, Calipso… ça claquait, ça swinguait pour Excoffon et là flop! Antique Olive comme (Neue) Haas Grotesk, sans même une nouveauté. Neue Haas Grotesk qui, rappelons-nous, prend le nom d’Helvetica en 1960. Et rappelons encore qu’Antique n’est vraiment compréhensible qu’en français (même si Antieke existe aussi en Hollandais), tout comme Grotesk l’est en allemand, ou Gothic en américain, ou Grotesque et Sans en anglais et que toutes ces appellations ne désignent globalement (en dehors des particularités de dessin) que des caractères sans serif, ou, dit en langage voxien (si nous osons ce néologisme) des linéales.
((digression C))
Imaginons l’apparition séquencée et alphabétique de capitales Antique Olive en rouge et bleu sur fond noir. C comme cinéma bien sûr avec le générique de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard qu’on ne se lasse pas de voir et revoir. Godard utilisera trois fois ce caractère avant de passer à l’Helvetica. On peut lire à ce sujet l’article de Paule Palacios-Dalens paru sur le site de Pampatype (cf. supra et ici) qui évoque aussi le lien familial entre Godard et Maximilien Vox, ces deux figures antagonistes. L’autrice a poursuivi son analyse dans VOX JLG du plomb au film, livre publié chez 202 Éditions en 2021 (maintenant épuisé). On peut en voir quelques pages là.
En guise de conclusion
Tout le monde l’aura bien sûr noté : l’entièreté de cette TimeLure a ses titres composés en Antique Olive, caractère qui ne date pas de 1960 mais bien de 1962, comme le confirme cette annonce où Marseille y gagne une s, ce qui tendrait à rendre la preuve moins fiable…
RVA
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Nous nous apercevons, après la rédaction de cet article et ses appendices, qu’en 2021 était publié chez Blaze Type un caractère appelé Massilia (1) (voir ici).
(1) Ce qui nous donne une furieuse envie de se questionner sur la possibilité de dessiner un caractère en hommage à une ville et nous commençons à réunir en pensée, sous les auspices de Georg Trump, Gerard Unger, le métro parisien, la ville de Glasgow, Gotham ou un concours des Twin Cities… de quoi nous faire rêver à l’écriture d’une digression N+ à ce sujet. ↩